
Les Russes ont la meilleure armée du monde, des espions qui pourraient vendre de la glace à des pingouins mais ils mettent un point d’honneur à ne jamais gagner les cœurs et les esprits. Leur soft power est une relique pathétique, une Lada toussotante égarée dans une course de Formule1.
Et ce festival n’est manifestement pas là pour séduire.
En dépit de son ancienneté (c’est le plus vieux festival de cinéma au monde après la Mostra de Venise) c’est un festival sans identité : Cannes a sa Croisette, La Mostra son Lido, mais Moscou ? C’est juste une ville où un festival a lieu, un capharnaüm de 200 films éparpillés sur 9 cinémas comme des cendres après une tempête… Et les organisateurs ne font même pas semblant de se soucier de la presse.
L’accréditation ? Une blague, un badge en plastique qui te dit : « Débrouille-toi. »
Tu es accrédité et tu veux voir un film en compétition ? Va sur Internet comme n’importe quel plouc, réserve ton billet, et prie pour qu’il reste une place. Avec un peu de chance et de débrouille, on peut voir quelques films, mais en principe le système bloque au bout de deux billets par jour !
L’idée sous-jacente est d’amener le cinéma au peuple : à chaque quartier sa part de rêve en technicolor. Une noble préoccupation doublée d’un cauchemar logistique. Et certes, il y a quelque chose de louable et typiquement russe là-dedans : le refus de jouer selon les règles de l’Occident, de bâtir une façade clinquante pour des likes sur Instagram. Admirable et exaspérant à la fois.

Julia, l’ange salvateur
Tu aimes le café et les petites attentions que d’autres festivals te prodiguent avec prodigalité ? Eh bien, ici, le café, c’est Julia Milshina qui te l’offre.
Julia Milshina, actrice et membre du comité d’organisation.
Ce café que dans leur munificence les organisateurs réservaient à l’usage exclusif des officiels et au cast des films en compétition, ce café qu’elle m’a offert comme l’auvergnat de la chanson qui sans façon offrait ses bouts de bois.
En lui parlant, j’ai découvert qu’elle avait foulé les planches avant même de savoir lacer ses chaussures et qu’elle avait commencé sa carrière au cinéma dès l’âge de 8 ans en incarnant le Marquis de Carabas. Ayant grandi dans l’univers du théâtre, du cinéma (et aussi du mannequinat), elle veut croire que ce festival pourrait devenir quelque chose de grand sur la scène internationale.
Elle parle des films russes, snobés par le jury, et les défend avec ferveur.

Le cinéma russe : une mine de diamants sous sanctions
Le cinéma lui-même, en revanche, c’est une autre histoire.
Le cinéma russe, comme l’agriculture et l’industrie russes, prospère dans l’isolement, livrant des films avec une âme et une audace qu’Hollywood, avec ses blockbusters pasteurisés, ne peut rêver d’approcher. Les sanctions ont forcé la Russie à regarder en elle-même, et le résultat est probant. Imposteurs, dans la compétition Première russe, n’est pas qu’un film ; c’est une machine à remonter le temps, nous replongeant dans le chaos de la crise constitutionnelle de 1993, quand les chars de Eltsine pilonnaient la Maison Blanche et qu’une nation vacillait au bord du gouffre. La journaliste au cœur du récit, incarnée par Linda Lapinsh, c’est la Russie elle-même — déchirée entre espoir et trahison. Ce film aurait pu être la carte de visite de la Russie au monde, mais il ne quittera probablement jamais ses frontières.
Stasia Tolstoya pour sa part rappelle que les géants littéraires russes ont encore des choses à dire en adaptant et en donnant une intensité stupéfiante à la nouvelle de TolstoÏ, « Bonheur familial », réflexion sur la fragilité et la beauté de l’amour entre un homme et une femme..

Le palmarès : une solidarité BRICS mal calibrée.
Mais le FIFM, au lieu de célébrer cette renaissance, est occupé à courir après des points de bonne conduite auprès d’un public mondial qui l’ignore.
Et puis, il y a la diplomatie BRICS…
Le grand prix, le Saint-Georges d’or, a été décerné à « Les Champs Elysées » , narcoleptique méditation existentielle de l’Indien Pradeep Kurba. Un film lourd qui sera oublié de tous avant la semaine prochaine.
La Russie est un grand pays qui agit en petit. Il y a les films, les acteurs, les histoires, mais aussi une machine qui s’autosabote.
Elle donne des prix aux Indiens, aux Kazakhs, ou encore à des productions locales secondaires (confère le prix de Première Russe « Licence to love » mélodrame malaisant et luisant de pathos sucré ; on en sort poisseux et définitivement diabétique !) mais oublie de célébrer ce que le pays fait de mieux.
La Russie trouve toujours le moyen de se compliquer la vie.