
« Vivre dans le Nord » était le slogan du Forum Arctique qui s’est tenu à Mourmansk les 26 et 27 mars derniers.
Bien sûr, on y a parlé de qualité de vie des populations locales, du renforcement des services sociaux et de l’environnement.
Mais au-delà de ces rêveries pour social-démocrate scandinave (en pleine escalade des tensions géopolitiques !) on n’en avait que pour cette fameuse Route maritime du Nord. On devrait d’ailleurs dire Route maritime du Nord-est puisqu’existe aussi une route nord-ouest beaucoup moins pratiquable.
Cette Route maritime du Nord-est, elle, est à 100% russe, puisqu’elle longe le littoral arctique russe. Elle est en outre la seule route indépendante (à l’exception du transsibérien) à unifier le territoire russe. Navigable 9 mois sur 12, jamais autant de marchandises n’ont emprunté ses eaux glaciales : 37,9 millions de tonnes en 2024, et l’objectif des 80 millions se rapproche à grands pas.
Enfin, son utilisation réduit de 30% la distance entre l’Europe et l’Asie.

Une affaire sino-russe
En effet, vue de Pékin, la route polaire est 30 % plus courte que la route traditionnelle via le détroit de Malacca et le canal de Suez pour joindre l’Europe. Plus longue, cette route Malacca-Suez présente en outre l’inconvénient de devoir croiser dans des secteurs sous influence américaine.
C’est pourquoi, la route polaire n’est plus seulement une affaire strictement russe, mais sino- russe. Elle marrie les ambitions commerciales chinoises au génie russe de la navigation polaire (notamment via une impressionnante flotte de brise-glaces nucléaires). D’ailleurs, Pékin se déclare « État quasi arctique »…
Cette « Route de la Soie polaire » est officiellement mentionnée dans le Livre blanc sur la politique arctique de la Chine publié en janvier 2018.

Un défi logistique et des sanctions
Mais la route Shanghai St Petersbourg, ce n’est pas une croisière en jonque sur le Yangtsé. C’est un sérieux défi en termes de transport et de logistique. Il faut des infrastructures d’accueil et de secours, une flotte de brise-glaces (la Russie est nettement leader avec une quarantaine de navires dont une partie significative à propulsion nucléaire). Pour le moment, les ports, bases de secours et réseaux logistiques arctiques sont sous-développés et nécessitent des investissements massifs. De plus, une fois encore, les sanctions européennes stimulent le développement russe.
Ainsi, Yamal LNG intensifie-t-il ses opérations de transbordement (Ship-to-Ship, STS) de Gaz Naturel liquéfié du côté de Mourmansk puisque les sanctions européennes interdisent depuis fin mars le transbordement en Europe (qui se faisait à Zeebrugge jusque là)
Et cela bien que les importations européennes de GNL russe augmentent toujours et ont atteint un record en 2024 (+650% d’augmentation en Allemagne par rapport à 2023) !
L’utilisation plus intensive de la route maritime du nord et les sanctions européennes font de Mourmansk un hub méthanier d’importance majeure. On est au bord du goulet d’étranglement. Mourmansk va également devenir un centre de construction navale et le principal centre de conteneurs de l’Arctique.

L’arctique, le Moyen-Orient du XXIème siècle ?
Le pays des ours blancs et des nuits interminables sera le théâtre de la nouvelle guerre froide
Exploitation des ressources naturelles (terres rares, uranium, ressources halieutiques et bien sûr gaz (30% des ressources mondiales de gaz) et pétrole (13-15% des ressources mondiales). C’est un nouveau Moyen-Orient à ceci près que l’exploitation est quand même problématique.
L’arctique russe, c’est à la fois :
- Une réserve énergétique (Yamal et Arctic LNG) : 13 % du pétrole, 30 % gaz non découverts. Les Chinois ont 20% dans le projet Yamal LNG et les Japonais 10%, Total (10% suspendus par les sanctions européennes), le reste (60%) pour le gazier russe Novatek.
Arctic LNG a suspendu ses activités de liquéfaction de gaz en avril 2024 mais une dépêche Reuters très récente évoque une reprise partielle. Là encore, 20% de participation chinoise. - Des minéraux (nickel, zinc, terres rares) abondants
- D’importantes ressources halieutiques, les bancs de poissons affluant en masse en mer arctique pour y trouver un peu de fraîcheur.

L’arctique, le Groenland et les ambitions de Donald Trump
Nous sommes ici en terrain familier, celui de la tradition bien établie de la piraterie anglo-saxonne !
Trump vise à la fois les ressources stratégiques (métaux et uranium) du Groenland et une position géostratégique permettant de mettre sous surveillance, voire bloquer la RMN.
Des think-tanks atlantistes suggèrent ainsi d’y renforcer les capacités de renseignement et de surveillance.
Ils prônent également une coopération internationale accrue, notamment via le Conseil de l’Arctique. Pour l’heure sa capacité de gouvernance est quasi-nulle mais depuis l’intégration de la Suède et de la Finlande à l’OTAN, 7 membres sur huit de ce Conseil sont des membres de l’OTAN. La Russie y a suspendu sa participation. La Chine, quant à elle, est membre observateur du Conseil de l’Arctique depuis 2013.
Il y a une intensification des activités de l’OTAN (exercices « Trident Juncture » en 2018 par exemple) à laquelle la Russie répond par l’augmentation du nombre des troupes et l’amélioration des infrastructures militaires. Depuis 2010, la Russie a modernisé 14 bases militaires
La militarisation de l’Arctique est en train de devenir un enjeu majeur de ce siècle.
