Je rentre d’un pays qui n’existe pas, du moins pour les médias occidentaux.
C’est que son martyre – vieux de plus de dix ans aujourd’hui – contredit à angle droit le storytelling d’une « agression russe non provoquée » contre un voisin pacifique.
Ce pays, je l’ai découvert en compagnie de journalistes occidentaux parfois persécutés dans leur propre pays pour leurs prises de position.
Héros du temps présent, ils sont accusés d’être pro-russes, ce qui est vrai dans l’exacte mesure où « la liberté d’expression sous toutes ses formes est désormais considérée comme de la propagande russe[1]«
[1] Alexandre Douguine
Pourtant, pour la première fois dans l’histoire contemporaine, une classe moyenne venait de faire « ce qu’une classe moyenne ne doit jamais faire ».[1]
Elle avait sacrifié son intérêt à court terme – un bon salaire contre sa docilité – à l’idée qu’elle se faisait de sa dignité et de son identité ; ou, si l’on préfère, elle a fait le choix de son être au détriment de son avoir. L’occident aurait-il peur de la contagion ?
Les insurgés du Donbass, prolétaires imprégnés de valeurs aristocratiques, incarnent la « décence commune » chère à Orwell. Aux premiers jours de l’insurrection, la bourgeoisie de Donetsk (managers, haute fonction publique) prenait la poudre d’escampette, ne doutant pas que le bon peuple, livré à lui-même, implorerait sans tarder son retour. Mais rien n’est venu : les fils et filles des Cosaques et des mineurs de fonds ont pris les armes pour défendre leur langue, leur culture et leur liberté.
Ceux du Donbass, on peut les tuer, on ne peut pas les vaincre
[1] Zakhar Prilepine. Ceux du Donbass
Quant à nous, nous sommes allés là où aucun journaliste occidental ne se donne la peine d’aller.
Ainsi Severodonetsk, ville dévastée par les combats, prise par les troupes russes en juin 2022
Nous y avons vu les infrastructures détruites, les immeubles éventrés par une armée ukrainienne pratiquant une politique de la terre brûlée. Ce dont les habitants ont témoigné devant nous.
Nous avons vu les fragments d’Himars et d’autres armes occidentales utilisées contre les civils par les bataillons de représailles ukrainiens.
Aucun média occidental n’a visité le comité militaire d’investigation de la République de Lugansk qui a pourtant documenté l’utilisation de matériel occidental dans le ciblage de populations civiles. L’OSCE elle-même s’est abstenue de travailler avec eux. L’omerta règne.
On ne militarise pas un pays pour provoquer son voisin. On ne bombarde pas des populations civiles. Qu’est-ce que nos médias ne comprennent pas ?
Nous avons rencontré des témoins que nul perroquet médiatique n’est jamais allé interviewer.
Ainsi Yuri Mezinov, un volontaire présent dans le Donbass depuis 2014.
Il gère l’aide à destination du Donbass et a créé un algorithme permettant de rationnaliser et d’individualiser la distribution de l’aide humanitaire.
Il a recueilli et supporté psychologiquement et administrativement les réfugiés de Bakhmut.
Il témoigne devant nous que Croix rouge, volontaires de l’aide et transports d’enfants sont régulièrement pris pour cibles par l’armée ukrainienne.
Il nous raconte enfin ce qui s’est produit à Metelkino, une localité proche de Lugansk : à deux reprises, les Ukrainiens y ont brûlé un centre d’hippothérapie pour autistes. Un crime de guerre sans ambiguïté.
Les exactions ont été telles dans ce secteur qu’à l’arrivée des troupes russes, les locaux ont refusé d’enterrer les cadavres de soldats ukrainiens. A l’évidence, les « orques » Russes sont plus populaires ici que les chevaliers blancs de la dignité !
N’en déplaise à nos médias, le Donbass existe donc. Loin d’être un pays fantôme, il abrite un peuple au courage unique au monde.
Mais notre presse, quand elle n’est pas occupée à traquer et dénoncer les déviants, se doit de propager les narratifs de cabinets de conseil grassement rémunérés. Peut-on encore parler de journalisme en occident ?
Dans la République de Lougansk, l’âge moyen des journalistes est de 22 ans. Dans leur vie de jeunes adultes, ils n’ont connu que la guerre.
Leur jeune âge et un certain conditionnement au « modèle » occidental[1] les poussent à croire que les médias de l’ouest informent honnêtement les citoyens d’Europe.
Au cours de la conférence qui a clôturé notre périple, ils étaient encore curieux de savoir quelle idée les occidentaux se font des évènements en cours dans le Donbass.
Comment leur dire que, pour un téléspectateur occidental, cette guerre cruelle faite à leur pays n’existe tout simplement pas ?
[1] A la faculté de journalisme de l’université d’État de Moscou on trouve un Centre d’études sur le genre dans les médias et la communication